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Questions sur la confiance : Michel FranconyAncien président du directoire d'ERDF et membre du Conseil d’administration de TMI.

Ce polytechnicien né en 1947 est entré à EDF GDF en 1972. Tarifs, distribution, stratégie, commercialisation, autant de secteurs où ses responsabilités successives font de lui l’un des meilleurs connaisseurs de l’électricien français.
"La compréhension de l'environnement est essentielle"


Trust Management Institute : Pour vous, qu'évoque le mot confiance ?


Michel Francony :
Cela évoque deux expériences de dirigeant à une décennie d'écart. Première expérience : je suis nommé patron d'EDF-GDF Services en 1993. J'y reste 6 ans et je développe à ce moment-là un modèle de management totalement tourné vers le client. Ce modèle se révèle d'une extraordinaire efficacité, en termes aussi bien de résultats économiques et financiers que de qualité du service, de moral des troupes. Bref, le sentiment presque euphorique d'une réussite totale. À croire que tout revient au talent des managers ou de la ligne managériale. J'ai eu l'occasion, ensuite, de comprendre que j'utilisais très rarement le terme de confiance. On n'en parlait pas. C'était quelque chose qui allait de soi, on baignait dans la confiance un peu comme on baigne dans l'oxygène. Une donnée nécessaire à la vie mais non identifiée comme étant l'élément clé ou essentiel à la réussite de l'organisation.
Deuxième expérience : je suis revenu, dix ans après, à la tête d'une organisation qui a la même finalité, la distribution d'électricité cette fois-ci : ERDF (Electricité Distribution Réseau de France). Mais entretemps, des réformes profondes avaient été impulsées par l'ouverture du marché, par des directives bruxelloises, à des vitesses extrêmement rapides où les hommes, les clients, passaient au second plan. Ils passaient derrière le découpage des organisations, le développement de systèmes d'information, le développement du gros plateau clientèle, etc.
Dix ans d'une organisation dont on pouvait dire qu'elle avait été quasiment martyrisée. La confiance qui était l'oxygène, le moteur de la vie, avait disparu. Je pensais qu'il y aurait eu un choc de confiance. Il ne s'est pas produit. Et du coup, tout ce qui était simple en tant que dirigeant, tous les actes de management devenaient compliqués.

"Pour moi, la confiance c'est deux époques différentes, l'une où c'était le moteur et on ne le savait pas et l'autre où c'était le frein et on l'avait identifié."
Nous nous sommes aperçus que sur le fond, la perte de confiance n'était pas simplement liée au dix ans de management précédents. Elle était liée à l'environnement de l'entreprise. Un exemple simple : quinze ans avant, le moteur du progrès c'était, disons, la tyrannie de la satisfaction clientèle. Tant que nous n'étions pas à 99% de satisfaits sur tous les axes, nous n'étions pas contents. Quinze ans après, on vous dit qu'il n'y a plus de clients. Et que vous êtes là uniquement pour faciliter le fonctionnement d'un marché ouvert et gérer un réseau. Les salariés avaient perdu leur raison d'être. Ce n'étaient pas les managers qui étaient responsables de ça, c'était l'organisation voulue par la Commission de Bruxelles. Le fait de sentir qu'en tant que manager, on était délégitimé par un environnement externe qui avait privé l'entreprise de son sens historique, ce n'était pas si simple…
Donc pour moi, la confiance c'est deux époques différentes, l'une où c'était le moteur et on ne le savait pas et l'autre, c'était le frein et on l'avait identifié. Mais on n'avait pas compris ce qui était à l'origine du problème, notamment les dimensions sociologiques, les interactions de l'entreprise avec l'environnement. Dans cette optique, il ne s'agit plus de traiter l'entreprise comme un ensemble isolé mais comme un ensemble ouvert aux problématiques de l'hyper-financiarisation, au risque zéro, à la tyrannie de l'urgence, à la perte de confiance dans les élites de toute nature, notamment politiques, et dont on hérite dans une entreprise comme EDF.


TMI : Comment-avez-vous géré cette crise de confiance ?

MF : Durant ces dix ans de transition, une nouvelle organisation avait été mise en place. Or à chaque fois qu'il y avait des demandes pour revenir à des formes d'organisation historiques, je m'évertuais à dire "ça c'est le passé, maintenant il faut qu'on fonctionne, comme toutes les entreprises, sous d'autres schémas". Certes, j'avais entendu le message. Mais c'est en décidant d'initier un projet pour mieux comprendre la situation que j'ai appréhendé toutes les facettes du sujet : ce que je considérais comme de la nostalgie qu'il fallait progressivement transformer était en fait un signe, un appel qui voulait dire " on est entendu " et " on nous fait confiance ". Il fallait y répondre. Cela s'est fait mais j'ai quitté l'entreprise entretemps et je ne sais pas si ça a permis de refonder la confiance. Reste que cette capacité d'aller discerner, dans ce qui remonte du terrain, ce qui peut être fondateur d'une nouvelle confiance est quelque chose d'assez difficile pour des dirigeants. Il y a tellement de bruits de fond, de rumeurs, d'informations… Mais ça doit être détecté, même si cela amène le manager à devoir faire le contraire de ce qu'il estime devoir faire.


TMI : Vous considérez que l'état global de la société, les interactions avec l'environnement ont un impact essentiel sur la confiance au sein l'entreprise. Comment cela s'est-il traduit dans votre branche ?

MF : Les entreprises comme celles que j'ai connues, la SNCF, la RATP, Air France, disons les héritiers du service public à la française, sont en relation permanente avec une masse de clients citoyens qui vivent difficilement la crise de la société. Et ces clients apportent leur mal être. Tout ce qui se passe dans le corps social impacte beaucoup plus ces entreprises où la composante humaine, relationnelle, est particulièrement forte. Cela a d'ailleurs de quoi décontenancer les dirigeants.

"La technique managériale ne suffit pas."
Il faut voir ce que sont devenues aujourd'hui les exigences de ponctualité des trains. Aucune cause extérieure n'est considérée pouvoir légitimer un retard. De même les exigences extrêmes en matière de sécurité, de zéro risque, de zéro défaut qui sont ancrées dans la société. Une nation qui inscrit dans sa Constitution un principe de précaution interprété comme " s'il y a le moindre risque, il faut s'abstenir " génère une société paralysante. Donc, les entreprises ayant un caractère d'innovation et de progrès technologique sont plus sensibles que les autres à l'influence de 60 millions de Français. Elles sont directement impactées par les grands courants, les grandes tendances qui traversent notre société. Le comprendre, l'analyser, peut permettre de mesurer ce qui est accessible au management et de déterminer ce sur quoi il faut " faire avec ". Mais pour toutes les entreprises, la compréhension de l'environnement est essentielle. La technique managériale ne suffit pas.


TMI : Si vous vous trouviez face au président de la République, que lui diriez-vous ?

MF : Ce qui m'a frappé en tant que dirigeant de fortes troupes - puisque dans un premier temps j'ai eu 80 000 salariés et 30 millions de clients, puis dans un deuxième temps 50 000 salariés - c'est ce qu'on pourrait appeler une forme d'intelligence collective. Cette intelligence qui fait qu'on élit un président à 51% pour bien lui faire comprendre qu'il y en a 49% de l'autre côté. Cela va bien au-delà de l'intelligence de chaque citoyen. Et aujourd'hui, je pense que dans la façon dont le politique s'est comporté depuis 40 ans, il y a presque un déni de cette intelligence collective.

"Une conformité entre ce qui est dit et ce qui est fait"
C'est ce qui explique qu'actuellement, la parole des politiques n'a plus aucun poids. C'est même l'inverse : il a dit ça, donc c'est probablement le contraire qui va se passer. Et la légitimité de la parole ne se décrète pas. Aux yeux des citoyens, les dirigeants sont censés être capables de dire l'avenir, de montrer un cap. Or s'ils ne le disent pas c'est qu'ils le cachent. Et s'ils le cachent, c'est parce qu'ils ont intérêt à le cacher. Voyez, depuis quelques mois, cette affaire du déficit budgétaire contenu à 3% et du taux de croissance de 0,8%. Par petites phrases, progressivement, on instille le fait - connu depuis 6 mois ! - que l'objectif n'est pas tenable. En tant que dirigeant, je comprends qu'un objectif ne puisse pas être tenu. Mais derrière cette stratégie d'habillage, de communication, les gens sentent qu'on ne leur dit pas la vérité. Il faudrait que l'expression politique soit plus limitée, plus condensée, qu'on dise " voici ce qu'on va faire et pour tel résultat ".


TMI : Une crainte, un espoir pour l'avenir ?

MF : Un espoir : si dans une entreprise, il y avait tous les jours quelques salariés, quelques clients, un ou deux fournisseurs qui, pensant aux dirigeants, disaient "eux, j'ai envie de leur faire confiance"... Ajoutons-y les élites politiques, syndicales, religieuses, scientifiques, etc. Si on pouvait entrer dans cette logique-là, d'ici dix à quinze ans la vie serait bien plus agréable en France, plus efficace aussi. C'est ce qu'il faut qu'on retrouve. Aujourd'hui, on est dans la dynamique inverse. Même si c'est un processus de longue haleine, je pense que c'est possible.

Propos recueillis par Philippe Quillerier
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