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Questions sur la confiance : Général Vincent DesportesAncien Directeur de l’Ecole de guerre, Membre du Conseil d’administration de TMI.

Ce saint-cyrien, connu pour son esprit indépendant et son franc-parler, est régulièrement consulté par les médias sur les questions militaires. Il est également directeur de la collection « Stratégies & doctrines » aux éditions Economica.
"Un capital absolument nécessaire à l'efficacité" 


Trust Management Institute : Qu'évoque la confiance pour vous ?


Vincent Desportes
: Le fonctionnement des armées suppose la confiance. Véritablement, la confiance est l’ingrédient indispensable pour produire de l’efficacité opérationnelle. Cela signifie que les armées sont un monde qui doit baigner dans la confiance du haut en bas de la hiérarchie, du bas vers le haut, du haut vers le bas et au niveau horizontal sur les différentes strates. Nous passons notre temps, quand nous ne sommes pas en opérations, à créer de la confiance. C’est le capital absolument nécessaire pour être efficaces en opération.


TMI : La confiance s’exerce-t-elle sur un registre différent selon qu’il s’agit des relations supérieur/subordonné ou des rapports militaire/politique ? 

« On leur demande toujours autant l’excellence opérationnelle et d’aller se faire tuer si nécessaire et, en même temps, on réduit les moyens. »
V.D. : Oui c’est différent et aujourd’hui, clairement, il existe une crise de confiance avec le politique. Pourquoi ? Parce que le militaire, comme vous le savez, a des droits limités, droit d’association limité, droit d’expression limité, etc. Donc il fait confiance à sa hiérarchie et sa hiérarchie fait confiance au politique pour défendre ses intérêts individuels, les conditions d’exercice de son métier, son outil de travail qui est l’outil de guerre. Or la tendance, et cela depuis longtemps de la part des gouvernements qui se succèdent, est de tirer parti de la faiblesse de l’expression militaire pour conduire réforme sur réforme, pour réduire les effectifs, pour réduire les moyens, pour ne pas les renouveler. Naturellement, le militaire s’en aperçoit. Et cela génère une crise de confiance. Ce qui est grave puisque la confiance est l’oxygène absolument indispensable au fonctionnement des armées. Par conséquent, cette crise de confiance peut remettre en cause l’efficacité globale des armées. Alors effectivement, aujourd’hui en particulier avec l’actuelle loi de programmation militaire, les militaires se demandent dans leur ensemble s’ils peuvent avoir confiance dans ce pouvoir politique qui réduit encore leurs moyens alors que chacun vit déjà dans des conditions difficiles : chacun voit bien que la disponibilité des matériels est faible, qu’ils n’ont pas suffisamment de moyens pour s’entraîner. On leur demande toujours autant l’excellence opérationnelle, on leur demande d’aller se faire tuer si nécessaire et, en même temps, on réduit les moyens. Tous ces éléments se traduisent, ce qui est tout aussi grave, par une crise du moral. Le moral des militaires est bas aujourd’hui. Je pense que cette crise du moral est d’abord une crise de confiance.


TMI : Quel est sur le plan de la confiance, le défi le plus sérieux que vous ayez eu à affronter ?

« Tenir un discours auquel on ne croyait pas forcément. »
V.D. : Le chef militaire que j’ai été a toujours eu besoin, pour exercer son métier, de la confiance de ses collaborateurs. Or cette confiance s’est souvent trouvée affaiblie par le phénomène que je viens de décrire. Donc d’une certaine façon, il a toujours fallu tenir un discours auquel on ne croyait pas forcément pour, malgré les difficultés, recréer de la confiance au niveau subalterne afin que l’outil dont j’étais responsable demeure opérationnel. Sinon, je n’ai jamais ressenti de véritable crise de confiance dans mes commandements. Mais il faut dire que j’ai dirigé des unités opérationnelles avant les graves crises budgétaires d’aujourd’hui.


TMI : Au sein de la société française, y a-t-il un déficit de confiance ? Comment l’analysez-vous ?

« L’armée est l’institution dans laquelle les Français ont le plus confiance. »
V.D. : Je crois qu’on ne peut avoir confiance qu’en quelque chose de solide. Ou qui apparaît comme tel. Or on avait confiance quand les repères étaient clairs et quand ils semblaient solides. Aujourd’hui, et même depuis un certain temps d’ailleurs, ce n’est pas nouveau, les repères s’estompent et s’affaiblissent. On avait confiance en l’Etat. Mais qu’est-ce que l’Etat aujourd’hui ? On avait confiance dans l’Onu. Mais qu’est-ce que l’Onu aujourd’hui ? On avait confiance dans l’Otan. Mais qu’est-ce que l’Otan aujourd’hui ? On avait confiance dans un certain nombre de corps de l’Etat dont on voit que finalement, ils ne sont pas meilleurs que les autres. On avait confiance dans les hommes politiques. Or on s’aperçoit que même ceux qui semblaient les meilleurs d’entre eux jouaient à des jeux pas très nets sur le plan financier. Etc., etc. Donc la question est : à qui peut-on faire confiance ? Et c’est justement là où les armées jouent un rôle dans la société. Cette année 2013, un sondage Ifop a été publié lors du 14-Juillet par la chaîne BFMTV ; il y apparaissait que l’armée est l’institution dans laquelle les Français ont le plus confiance, et à une écrasante majorité (91%) devant la police (78%) et la justice (54%).
Au-delà de leur rôle opérationnel, les armées ont ce rôle d’être l’un des piliers de la confiance dans les institutions. Alors, quand je vois qu’actuellement on rogne les moyens militaires, que sous de mauvais prétextes de trésorerie on est en train de casser cet outil, je me dis qu’on ne rend pas service à la France. Parce qu’une grande nation a besoin d’un pilier sur lequel s’appuyer. Et ce pilier-là est en train de s’affaiblir.


TMI : Selon vous, y a-t-il un risque que la défiance à l’égard du politique rejaillisse sur le militaire ?

« Les pouvoirs passent, 
les gouvernements changent
et l’armée reste. »
V.D. : Rejaillir peut-être, mais je dirai alors en positif. Parce que justement, ce que les Français ressentent bien c’est que l’armée se situe au-delà du politique. Elle l’est depuis de nombreux siècles et j’espère le sera encore longtemps. Les pouvoirs passent, les gouvernements changent et l’armée reste. C’est un pilier solide – encore pour l’instant ! - de la société. Donc l’effet devrait être plutôt inverse. Mais il ne faudrait pas, encore une fois, que sous de mauvais prétextes budgétaires, on casse ce refuge de valeurs et de confiance que constitue encore l’armée aujourd’hui.


TMI : Que diriez-vous au président de la République afin de restaurer la confiance dans le pays ?

« L’Etat doit redevenir
un Etat stratège. »
V.D. : La difficulté c’est que la crise est certes nationale, mais qu’elle a une dimension internationale. La perte de repères est d’envergure mondiale. Alors que faire ? Je crois que la perte de confiance qu’on peut avoir dans le politique repose sur la disparition du stratégique. C’est-à-dire qu’on a eu des dirigeants qui avaient une véritable vision stratégique, qui ont amené la France quelque part. Je pense bien sûr à Charles de Gaulle. Il avait une vision. Il disait aux Français : nous avons des problèmes mais je vous emmène là. Ayez confiance en moi. 

Or aujourd’hui, on ne voit pas d’homme politique qui émerge, qui soit capable de représenter la France, d’avoir une autorité solide, une vision stratégique et qui puisse dire : certes nous avons des difficultés mais ayez confiance, on va vers un cap, un horizon – qu’il faudrait définir – et qui va permettre de dépasser les aléas du jour. Je pense donc que l’Etat doit redevenir un Etat stratège, proposer une grande vision de la France qui permette à chacun de dépasser les difficultés du moment et reprendre confiance dans un grand projet, quel qu’il soit, mais qui entraîne l’adhésion.

TMI : Avez-vous pour l’avenir une crainte, en espoir ?

« Le risque c’est de voir des sociétés de plus en plus éclatées, dans lesquelles le sens des solidarités s’effacera toujours davantage. »
V.D. : Ma crainte, c’est la poursuite du délitement des repères dans l’accélération permanente de l’action, dans l’esclavage du court-termisme ; la crainte de l’effondrement de l’esprit stratégique qui conforte la montée des intérêts individuels, lesquels sont d’ailleurs mis en avant sur le plan philosophique ou sociétal, l’individu prenant le pas sur la société. 
Et on voit bien que c’est un risque. Parce ce que l’individu seul, isolé dans un mode de méfiance, est un individu qui est perdu, qui ne sait pas se rattacher à un tout, qui ne peut avoir confiance qu’en lui-même, ce qui est difficile. Selon moi, ce risque est de voir des sociétés de plus en plus éclatées, dans lesquelles le sens des solidarités s’effacera toujours davantage. Et mon espoir donc, c’est qu’un homme émerge, qu’il soit capable de fédérer, de recréer le lien dans cette société, le lien qui s’affaiblit tous les jours et dont l’affaiblissement génère par lui-même de la perte de confiance.


TMI : Quelles ont été vos motivations pour rejoindre TMI ?

V.D. : Je connaissais Jean-Luc Fallou ; il m’a parlé de cette aventure et j’y ai adhéré naturellement puisque pour moi, la confiance est un élément essentiel, au cœur de l’efficacité des armées. Donc qu’il existe un organisme qui réfléchisse aux mécanismes de création et de consolidation de la confiance, je trouve que c’est extrêmement positif. C’est un thème fondamental. 
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